Pour une réglementation du cannabis en Belgique

6. Proposition de principes fondateurs pour l’émergence d’un modèle belge

Résumé : La régulation du marché du cannabis est un instrument politique qui permet de favoriser la santé publique et de lutter contre un trafic hors de tout contrôle.

Il s’agit toutefois d’un exercice délicat qui, tout en donnant la priorité à la santé publique, doit envisager de faire émerger une offre légale suffisante pour répondre à la demande actuelle et éviter que les consommatrices continuent à s’approvisionner au marché noir.

L’étude des différents modèles existants au niveau international plaide pour un modèle qui ne reproduirait pas les erreurs faites pour le tabac et l’alcool et qui limiterait fortement la pression exercée par l’industrie, notamment en garantissant un axe de production et de distribution non marchand.

Le modèle que nous proposons ici articule un circuit non marchand, un circuit commercial et un circuit médical, et verrait l’État se doter des instruments nécessaires pour contrôler la production, la distribution et le prix final du cannabis.

L’encadrement strict du circuit marchand et l’existence d’un axe non marchand garantissent la priorité à la santé publique au sein de l’ensemble du dispositif. Nous entendons par axe non marchand le renforcement des stratégies de promotion de la santé et de réduction des risques, la culture pour usage personnel et l’encadrement des Cannabis Social Clubs. Nous proposons notamment une série de balises en vue de l’application d’un modèle de Cannabis Social Clubs en Belgique.

Comment et pourquoi réguler le marché du cannabis en Belgique ?

Tous les États qui ont régulé le marché du cannabis évoquent un ensemble d’objectifs similaires : restreindre l’accès aux publics jeunes, réduire l’activité criminelle, redéployer les forces de police et désengorger la justice et les prisons, contrôler la qualité des produits, développer une filière génératrice d’activité et d’emplois légaux et, enfin, dégager de nouvelles recettes fiscales. Mais la priorité donnée à l’un ou à l’autre de ces objectifs a pu conduire à la mise en œuvre de politiques fort différentes, comme en attestent les expériences de l’Uruguay et du Colorado (cf. chapitre consacré aux différents modèles de régulation).

Comme l’ont démontré Tom Decorte et ses collègues1, le régime prohibitionniste et le modèle commercial peu régulé ont en commun la maximisation des dommages sociaux et sanitaires liés à la consommation de cannabis.

Afin de garantir une place centrale aux enjeux de santé publique, le secteur spécialisé bruxellois préconise un modèle de réglementation stricte, dans lequel l’État contrôle l’offre de cannabis sous ses différentes formes. Les expériences de régulation du marché du cannabis à travers le monde permettent d’ores et déjà de tirer plusieurs enseignements et de formuler un certain nombre de recommandations. D’abord, instaurer une régulation du cannabis requiert de la préparation en amont, ainsi que des évaluations régulières permettant des ajustements progressifs. Cette préparation ne saurait se passer de la prise en compte des connaissances scientifiques actuelles, des bonnes pratiques répertoriées et de la consultation des services et acteurs spécialisés, et des usagers récréatifs et thérapeutiques. Le cadre législatif et organisationnel doit réguler le marché en donnant la priorité aux enjeux de santé publique. Il doit pour cela assurer une offre suffisante afin d’offrir une alternative à la hauteur de l’offre du marché noir, dans l’intérêt de toutes les usagères et patientes, mais également en protégeant les personnes vulnérables et les plus jeunes des motivations mercantiles et d’une commercialisation agressive des produits du cannabis (marketing attractif, publicité, sponsoring, etc.) qui pourraient être le fait de certains lobbies ou de monopoles.

L’étude des différents modèles existants au niveau international plaide pour un modèle qui donnerait à l’industrie une place moins importante qu’elle n’a obtenu aux États-Unis. Dans le modèle que nous proposons, l’État se doterait des instruments nécessaires pour contrôler la production, la distribution et le prix final du cannabis. Un organe de contrôle indépendant, associé au développement d’outils statistiques relatifs au suivi de l’évolution de la consommation et de la structure du secteur permettraient d’encadrer efficacement le marché et d’en prévenir les dérives éventuelles2.

Le modèle proposé combine trois circuits de production et de distribution :

  1. Un circuit non marchand, qui inclut la culture pour usage personnel et les Cannabis Social Clubs ;
  2. Un circuit commercial, au sein duquel des acteurs autorisés à produire et à distribuer du cannabis seraient agréés par l’État ;
  3. Un circuit médical, qui autoriserait des acteurs spécialisés à produire un cannabis de qualité pharmaceutique (sous forme de fleurs, de préparations magistrales ou de produits dérivés), délivré sur prescription médicale, via le réseau de pharmacies existant.Pour maintenir leur agrément, les acteurs seraient tenus de respecter un cahier des charges spécifique au circuit de production et de distribution.

Outre ces trois canaux, il semblerait intéressant d’envisager également la vente en ligne. Plusieurs arguments plaident pour cette filière :

  1. Le commerce en ligne et la vente par correspondance occupent une place importante dans notre manière de consommer aujourd’hui ;
  2. Actuellement, des filières illégales occupent ce terrain (aussi bien sur des cryptomarkets et sur les réseaux sociaux grand public que sur les messageries comme WhatsApp, Telegram ou Messenger) ;
  3. Toute proportion gardée, l’accessibilité du cannabis (notamment en milieu rural) est un ingrédient crucial de la réussite de la transition d’un marché noir vers un marché légal.

Au Canada, cette disposition a été prévue par le gouvernement fédéral en considérant ces aspects.

Une politique des prix stratégique et flexible

Le prix est bien entendu un déterminant crucial d’une régulation réussie du marché. D’une part, il ne doit pas être trop élevé, afin de permettre au cannabis des circuits légaux d’être plus attrayant que celui du marché noir. Il ne doit pas non plus être trop bas, afin d’éviter d’inciter à la consommation.

Le régulateur dispose, par le biais des accises, d’un instrument fiscal qui lui permet d’exercer un certain contrôle sur les prix. Afin d’assurer la cohérence avec les objectifs susmentionnés, il peut également fixer une fourchette de prix pour différents types de produits. Les prix varieraient en effet en fonction des différentes variétés de cannabis et des taux de THC et de CBD, ainsi que des différents produits transformés du cannabis.

La politique des prix en matière de cannabis doit aussi se doter d’une certaine flexibilité dans le temps. Dans un premier temps, il serait judicieux de pratiquer un prix suffisamment faible pour assurer un avantage définitif au marché légal, qui serait de nature à rendre obsolètes les filières du marché noir. A terme, quand ce dernier serait suffisamment déstructuré, voire aurait disparu, et que le marché légal serait bien établi, une augmentation du prix en fonction de considérations de santé publique pourrait être envisagée, sans que celui-ci atteigne cependant des niveaux qui rendraient viable une réorganisation des circuits d’approvisionnement illégal.

Un nécessaire organe de contrôle

La plupart des pays et territoires qui ont réglementé le cannabis se sont dotés d’un organe ou d’une autorité de contrôle chargé de coordonner la collecte d’informations relatives aux surfaces cultivées et aux quantités en circulation, d’établir les règles en matière de consommation, de production et de distribution, d’octroyer les licences aux différents acteurs agréés et enfin, de définir la politique des prix et de taxation.

La Belgique dispose désormais du cadre légal lui permettant d’instaurer un Bureau du cannabis. Dans l’état actuel des choses, cet organe serait rattaché à l’AFMPS et aurait pour mission de contrôler la production de cannabis à destination de la recherche et du secteur médical, mais nous encourageons le régulateur à élargir ses missions au contrôle de la production et de la distribution de cannabis récréatif dans le cadre d’un futur marché réglementé.

Il faudra cependant veiller à ce que ce Bureau soit suffisamment indépendant des instances étatiques pour éviter la tentation de maximiser les recettes fiscales liées à la vente de cannabis, ce qui pourrait compromettre les finalités de santé publique et de lutte contre le marché criminel qu’un tel système cherche à rencontrer3.

Pour résumer, la mission que le secteur spécialisé bruxellois propose de confier au régulateur serait d’articuler les trois circuits de production et de distribution tout en garantissant une place centrale aux enjeux de santé publique. Limiter les consommations problématiques, éviter la promotion de la consommation et contribuer à assécher le marché noir constitueraient les principaux objectifs du dispositif.

Encadrer la consommation

Un premier ensemble de règles que le régulateur serait amené à développer concerne l’encadrement de la consommation. Ces règles fournissent un cadre à la vente, à l’achat, à la consommation, aux quantités autorisées, et visent essentiellement à protéger les personnes les plus vulnérables. Bien qu’il soit encore difficile de faire des prévisions sur l’évolution à long terme, certains chiffres tendent à indiquer que la consommation des plus jeunes pourrait baisser suite à la régulation du cannabis. En effet, selon une étude fédérale américaine publiée à la fin des deux premières années de légalisation complète (2014-2015) dans les États de Washington et du Colorado, la consommation chez les adolescentes aurait diminué de 12 %. Cette chute serait due à la réglementation mise en place pour encadrer la consommation, mais aussi à l’affaiblissement du marché noir. Grâce à l’ouverture des magasins réservés aux adultes, le trafic de rue ayant diminué, les adolescents sont moins en contact avec les dealers et leurs produits4. Cependant, dans la population adulte, on peut s’attendre à une hausse des consommations par rapport aux données de prévalence actuellement disponibles, tout comme ce qui est observé au Canada. Notons par ailleurs qu’une régulation libère la parole des consommatrices et permet d’abaisser le seuil d’une demande d’aide en cas de consommation problématique. En effet, un comportement illicite est le plus souvent caché puisque dans un tel contexte, admettre sa consommation revient à s’incriminer, vu que c’est un aveu d’infraction à la loi pénale.

Interdit légal pour les mineurs

La consommation de cannabis présente bien entendu certains risques en termes de santé publique et son usage ne doit, en aucune façon, être banalisé. La consommation de cannabis chez les plus jeunes s’accompagne d’un risque plus élevé de dépendance et d’effets néfastes sur la santé, ceci en partie parce que le cannabis affecte le développement du cerveau, dont la plupart des zones n’arrivent à maturité qu’à l’âge adulte. Une régulation du marché du cannabis se doit donc de conserver l’interdit légal pour les mineures. Cependant, en se basant sur le constat que l’interdit ne réduit qu’en partie les réalités de consommation, il convient de renforcer les dispositifs de promotion de la santé et l’offre en matière de prévention des assuétudes et de réduction des risques auprès de ce public spécifique. Le contexte prohibitif ne favorise pas l’émergence de ce type de dispositifs, les jeunes ayant tendance (et intérêt) à cacher leur consommation au maximum.

Par ailleurs, il importe de décriminaliser la consommation de cannabis par des mineurs. Les mineures consommatrices, ainsi que leurs familles, doivent pouvoir être accompagnées afin de mettre des mots sur cette consommation et d’évaluer si elle est problématique. En cas de situation problématique, il faut pouvoir orienter les consommateurs et leurs familles vers des structures d’aide et de soins spécifiques. Autrement dit, même si l’interdit est maintenu pour les mineures, leur consommation doit être abordée comme un problème de santé publique ou mentale et non comme un problème relevant de la justice pénale. Actuellement, un grand nombre d’adolescents se retrouvent ainsi stigmatisés comme « consommateurs de drogues », parfois exclus de leur établissement scolaire ou de leur internat, avant tout pour avoir bravé un interdit légal, alors que leur consommation ne reflète pas nécessairement un usage problématique. Les conséquences de l’application de la loi sont parfois plus lourdes sur le parcours scolaire et éducatif que l’usage du produit lui-même. Les interventions et « descentes » de police en milieu scolaire sont également préjudiciables à la mission éducative de l’école qui repose sur la construction d’une relation de confiance avec les élèves et sur la promotion de la santé via le renforcement des compétences psycho-sociales et des facteurs protecteurs (estime de soi, confiance en soi, communication, …).

Pour des raisons de lisibilité et de clarification, il s’agira à terme de réétudier la question de l’âge légal de manière transversale pour l’alcool, le tabac et le cannabis, et d’assurer la formation des travailleurs sur les lieux de vente et le contrôle de l’application de la loi.

Limiter la consommation dans l’espace public

La consommation de cannabis dans l’espace public devrait au minimum faire l’objet des mêmes restrictions que celle du tabac. Elle pourrait être interdite notamment à proximité des écoles, ainsi que dans les lieux fréquentés par les enfants et adolescentes. Cependant, il semblerait opportun de ne pas l’interdire dans certains espaces comme les parcs.

Instaurer des lieux de consommation

La plupart des pays, même ceux qui ont commencé par interdire la consommation en dehors de l’espace privé, envisagent désormais la possibilité de consommer dans certains lieux dédiés, afin d’éviter certaines nuisances publiques, mais aussi de renforcer le lien social entre les consommateurs, comme ce qui se fait pour l’alcool au sein de l’Horeca.

Deux types de lieux de consommation sociale pourraient être autorisés. D’une part à l’instar des coffee shops néerlandais, des opérateurs privés ou associatifs pourrait proposer des espaces de consommation ouverts au grand public. D’autre part, les Cannabis Social Clubs constitueraient des lieux de consommation réservés aux seules membres. Ces établissements devraient pour autant disposer d’un local répondant aux normes sanitaires en vigueur, notamment en matière de ventilation. Ces lieux auraient toutefois un immense avantage par rapport à leurs équivalents néerlandais, à savoir le cadre légal de l’approvisionnement. Il est souhaitable que les lieux qui proposent du cannabis soient dédiés à cette activité, à l’exclusion de toutes les autres. En effet, il est plus facile de contrôler le respect de l’interdit de vente aux mineurs si ces derniers n’ont aucune raison de rentrer dans ces espaces.

Limiter le tourisme du cannabis

L’expérience néerlandaise suggère que l’interdiction d’acheter du cannabis pour les non-résidentes a pour conséquence de profiter au marché noir. De nombreuses municipalités sont revenues sur la politique du « wietpas » qui restreignait l’accès aux coffee shops, dans certaines villes, uniquement aux résidents néerlandais. Un choix que plusieurs États ont fait est celui de limiter le tourisme du cannabis en fixant une quantité maximum par personne et par jour pour les non-résidentes, à 5 grammes par exemple. Il y a également un enjeu à autoriser des établissements dédiés à la consommation de cannabis pour éviter que les touristes ne consomment dans des endroits où ce n’est pas autorisé, ou se dirigent vers des produits comestibles, plus discrets mais auxquels ils sont parfois peu habitués, ce qui a tendance à augmenter les risques de surdosage.

Prévenir les nuisances sur la voie publique

Le consommateur sous l’emprise des effets du cannabis qui crée un trouble à l’ordre public, même dans un lieu où cette consommation est autorisée, s’exposerait à des sanctions. L’usage du cannabis constituerait dans ce cas une circonstance aggravante. La consommation, la fumée et l’odeur en elles-mêmes ne seront cependant pas considérées comme des nuisances.

Encadrer la conduite sous influence

Réglementer la conduite sous influence représente un autre élément-clé des nouveaux systèmes de régulation. Les tests de dépistage (urine, sang, salive), qui permettent une mesure précise de la quantité de THC dans le corps sont critiqués puisque les résidus de THC peuvent rester plusieurs jours voire plusieurs semaines dans le sang, et aucun tests de ce type ne pourra jamais présumer avec certitude de l’incapacité à conduire.

Actuellement en Belgique, la police procède à un test de dépistage salivaire si elle a une présomption de consommation récente sur base d’une check-list qui évalue grossièrement l’état apparent du conducteur (yeux, visage, élocution, démarche, …). Un prélèvement salivaire est ensuite effectué en vue d’une analyse en laboratoire si le test de dépistage est positif. Cette procédure ne permet malheureusement pas d’évaluer directement l’aptitude à conduite, ni de déterminer si une éventuelle inaptitude est effectivement liée à la consommation du produit. Au Canada, la police dispose d’officiers spécialisés dans la détection de la conduite sous influence, chargés de procéder à une évaluation approfondie de la personne (y compris sur le plan psychomoteur) afin de déterminer si elle présente effectivement une inaptitude à la conduite.

Il est donc souhaitable de mettre en place une méthode qui vise à évaluer l’impact du cannabis sur les capacités de conduite, plutôt que de recourir à une méthode qui vérifie uniquement la présence du produit dans l’organisme, sous peine de s’éloigner de l’objectif de sécurité routière.

Limiter les quantités achetées et détenues

Les expériences internationales divergent sur la question de la limite des quantités autorisées pour les résidentes. En Uruguay, la limite est fixée à 40 grammes par mois ; au Canada et dans plusieurs États américains, à 30 grammes par transaction. Ce seuil vaut généralement également pour la détention dans l’espace public. Dans le cadre des Cannabis Social Clubs espagnols, la limite varie entre 60 et 90 grammes par mois. Il s’agit évidemment de ne pas placer le curseur trop bas pour pouvoir répondre à la demande sans inciter à la consommation, tout en évitant que les consommateurs aient recours au marché noir. Seules les usagères thérapeutiques en possession d’une prescription médicale sont autorisées à déroger à ces limites.

Outre les quantités maximum, la méthode appliquée varie également. En Uruguay, les consommateurs sont enregistrés pour ce faire dans un registre centralisé. Cependant, ce dispositif engendre une certaine méfiance auprès des acheteuses. En effet, après des décennies de répression, il est difficile pour ces dernières de ne pas être méfiantes vis-à-vis d’une telle procédure, et beaucoup d’entre elles préfèrent alors continuer à se fournir en dehors des canaux légaux. Ce sont toutes les autres mesures visant à encadrer la consommation, ainsi que le renforcement des stratégies de prévention, de promotion de la santé et de réduction des risques qui doivent permettre de limiter les consommations. Cela étant, pour acheter du cannabis, il sera cependant nécessaire de présenter sa carte d’identité afin de garantir l’interdiction de vente aux mineures. Comme toutes les asbl, les Cannabis Social Clubs, quant à eux, doivent tenir à jour un registre des membres, anonymisé ou non, afin de permettre aux services de contrôle de connaître le nombre de membres.

Limitation des taux de THC

Il est admis que le taux de THC présent naturellement dans la plante ne dépasse pas 30% actuellement, ce qui pourrait constituer une limite raisonnable en ce qui concerne le cannabis en fleurs, tout en tenant compte des attentes des usagers. Cependant, les extraits, les huiles et les produits alimentaires, dont les taux de THC peuvent monter beaucoup plus haut, occupent une part importante du marché et doivent donc être réglementés spécifiquement. Certains produits affichent des concentrations en THC allant jusqu’à 90% et peuvent occasionner des malaises, en particulier lorsqu’ils sont consommés par des personnes ayant peu d’expérience en matière de consommation de cannabis.

Plutôt que de limiter le taux de THC dans les produits, le Canada a choisi de limiter la quantité de THC par unité ou par emballage à 10 milligrammes, tout en interdisant les mélanges avec l’alcool ou avec une quantité de caféine excédant 30 milligrammes par unité. Une démarche intéressante, car la diversification des modes de consommation a mené notamment au développement d’e-cigarettes contenant du cannabis. Les e-liquides utilisés sont très concentrés, mais ils sont consommés en très petites quantités. Par ailleurs, les usages thérapeutiques et les besoins des patientes nécessitent parfois des concentrations importantes de THC.

Dans l’état actuel des connaissances, les cannabinoïdes autres que le THC sont considérés comme non psychoactifs et ne nécessitent donc pas d’encadrement spécifique. Les prix, mais aussi le packaging et les conseils de prévention et de réduction des risques pourraient varier en fonction du taux de THC.

Encadrer le système de production et de distribution

Un deuxième ensemble de mesures doit être développé afin de garantir des produits de qualité, d’assurer la séparation entre marché légal et marché noir, de limiter la promotion de l’usage de cannabis et des produits dérivés et, enfin, de limiter la densité des points de distribution sur le territoire. Tous les pays ayant réglementé ont mis en place un système d’octroi de licences afin d’identifier clairement les acteurs autorisés à produire, transformer et distribuer du cannabis.

Licences de production et contrôle de qualité

L’État pourrait proposer trois types de licences différentes, chacune assortie d’un cahier des charges spécifique établi selon le modèle des good agricultural practices5 en vigueur dans la production d’autres types de produits agricoles. Ces cahiers des charges permettraient de définir un ensemble de règles en matière de méthodes de culture, de transformation, de stockage, de sécurité électrique, de sécurisation des espaces de production, de traçabilité des produits, etc.

Le premier type de licence serait octroyé aux acteurs industriels agréés par l’État pour des cultures supérieures à une surface (en intérieur et en extérieur) à définir par le législateur.

Un second type de licence serait une licence de production simplifiée, disponible à un coût réduit, et serait accordée aux Cannabis Social Clubs et aux petits producteurs dont la surface cultivée ne dépasse pas les limites définies par le législateur.

Un troisième type de licence serait délivré aux acteurs produisant du cannabis pour un usage thérapeutique, dont le cahier des charges serait plus détaillé, notamment en ce qui concerne la standardisation des produits (composition et taux de cannabinoïdes).

Un point important et commun aux différents cahiers des charges est l’obligation de se soumettre aux contrôles de qualité de la production. En effet, des agents de l’État doivent pouvoir prélever des échantillons aléatoires de récolte afin de les faire analyser pour y déceler d’éventuelles traces de contamination. Un deuxième point important est une liste d’ingrédients prohibés, dangereux pour la santé ou incitant à la consommation, et l’interdiction d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides dérivés du pétrole.

Lorsque l’autoculture est autorisée, elle n’est généralement soumise à aucune licence ni contrôle de qualité. C’est la personne elle-même qui est responsable de la qualité du cannabis qu’elle produit. Plusieurs États font cependant circuler des fiches de bonnes pratiques et de conseils pour cultiver chez soi du cannabis dans les meilleures conditions possibles.

Les États qui autorisent la culture à domicile ont limité le nombre de plants à quatre ou six plants femelles par personne, avec un maximum par foyer, dans le cas où plusieurs consommatrices vivent sous le même toit. Cependant, des initiatives récentes remplacent le nombre de plants par un équivalent en « surface de canopée en floraison » (quatre plants femelles en floraison correspondent environ à un mètre carré de canopée), ce qui permet une plus grande souplesse dans le choix de la méthode de culture. Le cannabis produit en autoculture ne peut, bien sûr, pas être vendu. Un autre principe récurrent est que les plants ne peuvent pas être visibles depuis l’extérieur de l’habitation.

Les Cannabis Social Clubs reconnus par l’État auraient le droit de cultiver une surface proportionnelle au nombre de membres tout en respectant les limites de surface et de production définies par le législateur. Les clubs seraient également contraints de déclarer les lieux de culture, les surfaces cultivées, les quantités produites et le nombre de graines et de boutures distribuées.

Afin de lutter contre le phénomène de quasi-monopole de grandes entreprises, il est important de limiter la taille des acteurs. Plusieurs États américains ont notamment interdit l’accumulation de licences et l’intégration verticale, c’est-à-dire la propriété des différentes étapes de production et de vente par un seul opérateur. Le système de licences simplifiées pour les petites cultures contribue notamment à assurer une certaine diversité parmi les opérateurs cannabis. Sans un tel système, il s’avère que ce sont principalement des entreprises et des personnes disposant d’un fort capital social et économique qui accèdent au marché. Or, l’un des enjeux de la régulation est également de réintégrer certains acteurs du marché noir vers le marché légal et éventuellement de favoriser l’économie locale.

La régulation du marché du cannabis implique également d’assurer le lien entre l’industrie du cannabis et le secteur des banques et assurances. Il importe, en effet, d’éviter une situation comme celle que connaissent les États-Unis actuellement, où les banques refusent de traiter avec les entreprises de production ou de distribution de cannabis, par crainte d’enfreindre les lois fédérales. En conséquence, la majeure partie des transactions se font en liquide, y compris en ce qui concerne le paiement des factures et des salaires des employées. Outre les nombreux problèmes d’organisation que cette situation occasionne, la forte disponibilité d’argent liquide augmente le risque de cambriolage ou de braquage violent.

Licences de transformation

Le cannabis en fleurs ne constitue qu’une partie du marché. Il existe de nombreux produits transformés issus du cannabis : des extraits, des huiles, des boissons, des produits alimentaires, mais aussi des crèmes, des produits de beauté, etc. Ici aussi, il y aurait deux types de licences assorties d’un cahier des charges différent. L’une pour les transformations incluant des procédés d’extraction mécanique, sans solvants, et un deuxième, plus complet, pour les acteurs utilisant des techniques d’extraction avec solvants. Un point important des cahiers des charges relatifs à la transformation concerne la déclaration des fournisseurs de cannabis et les obligations en termes de traçabilité (voir ci-après).

Licences de distribution

Les pays ayant régulé ont également instauré des règles pour limiter la densité des lieux de distribution et organiser leur répartition sur le territoire. Beaucoup ont également instauré des distances minimales à respecter par rapport aux écoles, parcs publics et centres communautaires.

Dans un premier temps, on peut imaginer un réseau d’opérateurs agréés par l’État, réparti sur tout le territoire et garantissant des points de vente dans les principales villes de Belgique.

Ce réseau viendrait compléter celui des Cannabis Social Clubs, non soumis eux à l’obtention d’une licence de distribution étant donné qu’ils n’ont pas pignon sur rue et que seules les membres enregistrées ont le droit de s’y procurer du cannabis. Leur présence reflète une demande existante qu’il est nécessaire de combler.

Dans un second temps, le marché pourrait graduellement s’ouvrir à d’autres acteurs marchands spécialisés, tout en régulant leur densité afin d’éviter des situations de concentration des points de vente dans certains quartiers. Il importe également d’interdire que ces lieux, s’ils disposent d’un espace de consommation, puissent combiner une licence de distribution de cannabis et de débit de boissons (alcoolisées). Ces points de vente devraient également déclarer leurs fournisseurs de cannabis et s’acquitter des obligations en termes de traçabilité.

En ce qui concerne le cannabis à usage thérapeutique et les médicaments à base de cannabis, avec ou sans prescription, ceux-ci pourraient être distribués via le réseau de pharmacies existant.

Les bonnes pratiques en matière d’alcool recommandent d’accompagner la délivrance de licences de la formation des vendeurs (contrôle de l’âge, ne pas servir à une personne déjà ivre, etc.). En ce qui concerne le cannabis, une telle formation pourrait comprendre les conseils de prévention, de promotion de la santé et de réduction des risques (y compris les modes de consommation sans tabac), la détection précoce des consommations problématiques, l’orientation vers des acteurs de prévention, réduction des risques, soins, accompagnement, etc.

Enfin, il importe de prévoir et d’autoriser la vente en ligne de cannabis et de produits à base de cannabis pour les raisons évoquées plus haut.

Interdiction de toute publicité

Tout comme pour le tabac, toute publicité à l’égard du cannabis, sous ses différentes formes, devrait être strictement interdite. En effet, la publicité a une réelle influence sur nos comportements de consommation.

Dans un contexte où les stratégies et techniques publicitaires sont de plus en plus agressives, et difficiles à contrer à travers l’utilisation massive des réseaux sociaux et d’outils promotionnels ultra-ciblés et efficaces, il importe d’envoyer un message clair en ce qui concerne la publicité. Il s’agit d’un enjeu fondamental compte tenu du poids considérable de la publicité dans notre société, des importants revenus qu’elle génère, de son omniprésence et enfin, de son influence sur nos représentations sociales et nos comportements de consommation, plus particulièrement chez les jeunes et les consommatrices plus vulnérables.

En matière d’alcool par exemple, de nombreuses études prouvent l’effet très important de la publicité sur la consommation, en particulier sur les publics les plus à risques que sont les jeunes et les personnes dépendantes6, 7, 8. Dès lors, l’État, dans le cadre d’une politique « drogues » cohérente, doit permettre aux consommateurs de faire des choix libres et éclairés, dénués de toute influence publicitaire et commerciale qui pousse indéniablement à la surconsommation de ces produits.

Imposer des critères d’étiquetage

Les informations mentionnées sur les emballages des produits du cannabis constituent un véritable enjeu de santé publique. Il est essentiel que les consommatrices soient clairement informées, via l’étiquetage, de la composition exacte des produits, ainsi que, le plus précisément possible, des taux de THC, CBD et éventuellement d’autres cannabinoïdes présents. Une équivalence en cannabis séché devrait aussi être indiquée sur les emballages de produits comestibles et d’huiles, pour aider les usagers à s’y retrouver. Différents messages de prévention et de réduction des risques doivent également apparaître sur les paquets et devront être adaptés aux taux de THC et autres cannabinoïdes présents. Par exemple, il serait utile d’informer les consommatrices que les produits à forte teneur en THC peuvent causer des crises de panique ou de paranoïa. Les numéros du centre anti-poison ou d’une ligne d’aide en cas de consommation problématique pourraient également se trouver sur les paquets.

Imposer les emballages neutres et sécurisés

Afin de limiter la promotion de la consommation, il semble également opportun d’interdire la publicité sur les paquets d’emballage et d’imposer un packaging neutre, comme pour les produits du tabac. Afin d’éviter autant que possible l’ingestion accidentelle par les enfants, les emballages doivent être difficiles à ouvrir pour eux et les produits eux-mêmes ne peuvent pas ressembler à des friandises. Un certain nombre d’accidents impliquant des enfants ont eu lieu dans le Colorado à cause de produits très similaires à des sucreries classiques et présentés dans des emballages colorés.

Traçabilité sur toute la chaîne, du producteur au consommateur

La mise en place d’un système de traçabilité des plantes et des produits dérivés, de la graine aux consommatrices, constitue l’un des enjeux essentiels du dispositif. Il doit permettre à l’État de savoir à tout moment quelles sont les quantités de cannabis produites et en circulation. Cela doit permettre d’estimer l’évolution de la consommation, mais aussi de s’assurer que le cannabis produit légalement ne soit pas dévié vers le marché noir. Il existe plusieurs méthodes pour assurer cette traçabilité et, ici aussi, le cahier des charges en matière de traçabilité devra être adapté au type d’acteur concerné, le coût de certaines technologies étant trop lourd pour les petits producteurs et les Cannabis Social Clubs.

Le Canada a notamment développé un système de traçabilité destiné aux acteurs commerciaux, mais qui pourrait être adapté aux acteurs non marchands. Toutes les détentrices de licence (culture, transformation, distribution) sont tenues de remettre des rapports mensuels en ce qui concerne les quantités de cannabis produites, achetées, stockées, vendues, destinées à l’analyse ou à la recherche, détruites, perdues, etc. Le système fait la distinction entre quatre classes de produits (plantes de cannabis, extraits, comestibles et produits à usage externe), et fait aussi la distinction entre le cannabis « frais » avant transformation et le cannabis taillé et séché. Ce système permet de suivre, mois par mois, les quantités en circulation à chaque étape de la chaîne, des producteurs aux consommateurs. Les producteurs doivent notamment déclarer leurs fournisseurs de boutures et de graines, ainsi que les quantités achetées.

Certains États américains ont choisi de combiner un système de traçabilité de ce type avec des technologies RFID9, plus coûteuses, mais permettant d’aller plus loin dans le suivi « from seed to sale ». Chaque plant individuel est pourvu d’un marqueur RFID, permettant une radio-identification qui vise à suivre chaque mouvement du plant et de savoir qui l’a déplacé. Ce système permet d’avoir une vue d’ensemble sur les quantités en circulation et sur la gestion des cycles de production. À terme, ce type de marqueur pourrait aussi collecter différentes variables environnementales utiles pour optimiser la production (température, taux d’humidité, durées d’éclairage, etc.).

Afin de s’assurer que les Cannabis Social Clubs n’alimentent pas le marché noir, ils doivent, eux aussi, déclarer les lieux de production, les surfaces de culture, ainsi que les quantités produites et distribuées. La production de cannabis doit correspondre à la consommation totale des membres, la quantité maximale par personne et par mois étant définie par l’État. Pour garantir la transparence, les clubs devraient publier une liste anonymisée de leurs membres. Ainsi, avec le nombre de membres, le prix du gramme de cannabis, et les comptes détaillés, il est possible de savoir exactement quelle quantité chaque membre a reçu.

Les Cannabis Social Clubs en Belgique

En Belgique, les Cannabis Social Clubs se sont développés en s’appuyant sur la directive ministérielle du 25 janvier 200510 selon laquelle, en dehors de circonstances aggravantes, la possession d’un plant de cannabis femelle par adulte ne doit engendrer qu’un procès-verbal simplifié, sans confiscation dudit pied. Des groupes de consommatrices se sont donc rassemblés pour cultiver leur pied en commun. Les clubs n’ont pourtant eu de cesse de se débattre contre la Justice, comme en témoigne l’histoire du plus vieux club belge, l’asbl Trekt Uw Plant.

Les clubs belges mettent en place un circuit fermé entre cultivateurs et consommatrices afin de satisfaire la consommation personnelle de leurs membres. Ces derniers confient donc leur plant au club qui assure sa culture et sa récolte dans les meilleures conditions possibles. Lorsque la récolte est prête, les membres se la partagent contre une participation qui couvre les frais de culture et de gestion du club.

Afin de garantir un maximum de transparence, les clubs se sont développés en asbl. Leurs statuts stipulent que leur objet social est de mettre du cannabis à disposition de ses membres. Ils déclarent la liste de leurs membres et le prix du gramme de cannabis, et publient leurs comptes. Ils mettent également en place une politique active en vue d’instaurer le dialogue avec les autorités afin de faire reconnaître leur modèle. Dans ce but, ils organisent régulièrement des événements publics.

Comme le montre l’expérience espagnole, les Cannabis Social Clubs ont également un impact non négligeable en termes de création d’emploi. En effet, Tom Decorte et ses collègues ont estimé que la gestion d’un club de 400 membres nécessite le travail de 5 ou 6 personnes11. Nous y reviendrons.

Tableau 8 : L’asbl Trekt Uw Plant à nouveau poursuivie devant la justice

L’asbl Trekt Uw Plant, basée à Anvers, gérait le plus ancien Cannabis Social Club de Belgique. Depuis 13 ans, elle développe le modèle des Cannabis Social Clubs en toute transparence. Le 27 juin 2019, le tribunal correctionnel d’Anvers a rendu un jugement visant à démanteler l’association, et à condamner certains de ses membres à des peines allant jusqu’à 20 mois de prison avec sursis et des milliers d’euros d’amende. Il met ainsi fin à une grande expérience dans l’organisation d’un modèle essentiel dans le cadre d’une politique en matière de drogues basée sur la santé publique et la justice sociale. L’asbl avait pourtant déjà bénéficié deux fois d’un non-lieu (en 2008 et en 2012) dans le cadre de dossiers semblables. Cette fois encore, Trekt Uw Plant a fait appel de ce jugement.

Balises pour la reconnaissance des Cannabis Social Clubs

Le rôle des Cannabis Social Clubs dans un marché réglementé en tant que circuit non marchand de production et de distribution est d’une part de contribuer à l’approvisionnement du marché, ce qui est fondamental pour affaiblir le marché noir et réduire l’accès des plus jeunes au produit, mais aussi d’autre part de garantir la place centrale de la santé publique dans le dispositif et de limiter le poids des acteurs commerciaux, dont l’intérêt est de générer du profit et de promouvoir la consommation. Les Cannabis Social Clubs proposent un modèle alternatif aux circuits marchands, et portent des valeurs de collaboration, de partage, de solidarité, de démocratie et de convivialité. Afin de leur permettre de jouer ce rôle, nous proposons un certain nombre de balises à respecter.

Forme juridique

La forme juridique des Cannabis Social Clubs doit permettre un fonctionnement non commercial, participatif, démocratique et transparent. La forme juridique de l’asbl semble se prêter à ces principes, mais d’autres formes, comme la société coopérative bénéficiant d’un agrément en tant qu’entreprise sociale, peuvent également être envisagées. Le nom des membres du Conseil d’administration, ainsi que les comptes détaillés, seront publiés conformément à la législation en vigueur.

La charte morale d’Encod

Encod12 est un groupe de pression international qui a rédigé un code de conduite à destination des Cannabis Social Clubs européens13. Ce code reprend les grands principes de transparence, de démocratie et d’absence de profit, et propose également une série de balises en matière de fonctionnement interne et de méthodes de culture. Ce code de conduite pourrait constituer une balise intéressante dans le cadre de la création d’un club.

Le cahier des charges en matière de production

L’objet du club est de produire un cannabis de qualité, produit localement et en circuit court afin de couvrir la consommation personnelle de ses membres. Pour ce faire, le club passe des contrats avec des cultivateurs qui doivent respecter un cahier des charges en matière de production et de transformation. Ce que nous proposons ici est que ce cahier des charges, spécifique aux Cannabis Social Clubs, soit rédigé en collaboration entre les clubs et l’organe de régulation. Parmi les éléments qui devraient se trouver dans ce cahier des charges, on peut citer :

  • Déclaration des lieux et des surfaces de production, ainsi que des lieux de stockage ;
  • Déclaration des lieux de distribution ;
  • Mesures en matière de ventilation et de sécurité électrique des espaces de culture ;
  • Les appareils électriques utilisés (lampes, extracteurs, filtres, etc.) doivent porter un label ;
  • Mesures de sécurisation des espaces de production pour éviter les vols de récolte ;
  • Déclaration de la provenance, du type et de la quantité de graines ou de boutures achetées pour chaque cycle de production ;
  • Mesures en matière de séchage, de stockage ;
  • Mesures en matière de nuisances olfactives et sonores ;
  • Mesures en matière de transport du lieu de production au lieu de distribution ;
  • Interdiction d’utiliser des pesticides ou des engrais chimiques, ainsi que d’altérer ou de manipuler les récoltes avec des produits non naturels ;
  • Garantir des procédés d’extraction sans solvants pour la fabrication d’huile ou autres produits à base de cannabis ;
  • Prévoir les sanctions en cas de manquement à ce cahier des charges.
Contrôle de qualité

Comme pour les autres producteurs, afin de s’assurer de la qualité du cannabis produit, un système de contrôle devrait être mis en place en vue de prélever des échantillons aléatoires sur les récoltes pour les faire analyser afin de déceler d’éventuelles traces de pesticides, engrais chimiques, moisissures, champignons, métaux lourds, etc.

Afin d’informer au mieux les consommatrices, il est important de permettre aux clubs de faire appel, à un coût préférentiel, aux services de laboratoires agréés pour faire analyser des échantillons de leurs récoltes. En effet, bien que les producteurs de graines fournissent déjà des chiffres relativement précis en ce qui concerne les taux de THC et de CBD, il importe de pouvoir fournir aux consommateurs une information aussi détaillée que possible et de s’assurer de l’absence de contamination des récoltes. Les données récoltées constitueraient par ailleurs un intérêt pour la recherche sur les différentes applications industrielles et médicales du cannabis.

Fixation des prix

Les prix pratiqués par les Cannabis Social Clubs sont bien entendu tributaires des coûts liés à la gestion du club, ainsi que de la location de l’espace de culture, de coûts liés au matériel et des honoraires des cultivateurs. Ils doivent cependant être cohérents avec la politique de prix globale mise en place par le régulateur, qui dispose par le biais des accises d’un levier pour influencer leur niveau afin de concurrencer le marché noir et de préserver la santé publique.

Les membres

Afin d’éviter toute dérive commerciale, nous préconisons un maximum de 400 membres par club, tout en respectant les limites de surfaces de culture définies par le législateur. Le chiffre de 400 membres est basé sur une expérience de plus de dix ans de certains clubs belges. Le nombre minimum est limité par le nombre de personnes nécessaires pour créer une asbl, soit trois membres. Cela doit permettre à de petits groupes de s’organiser en club afin d’éviter certaines dérives observées en Espagne dans de trop grands clubs. Ces seuils devront être évalués à la lumière des expériences concrètes. Une manière de limiter la taille des clubs est de leur interdire de dépasser les critères relatifs à une micro-asbl14.

Par ailleurs, les membres doivent être résidents belges afin d’éviter l’effet incitatif sur les consommatrices des pays limitrophes. Le fait d’avoir été condamné pour culture de cannabis par le passé ne doit pas constituer un frein à l’adhésion.

Autoriser les clubs à produire un surplus de cannabis

Le risque de mauvaise récolte ou de vol n’est pas négligeable et les clubs devraient donc être autorisés à produire un surplus pour faire face à ces aléas. Par ailleurs, les clubs devraient aussi être autorisés à utiliser ce surplus pour venir en aide à d’autres clubs faisant face à des difficultés passagères. Le mode de gestion de ce surplus devrait également être défini dans les statuts ou dans le cahier des charges.

Autoriser les clubs à ouvrir des lieux de consommation

Les clubs constituent donc des endroits privés, sans pignon sur rue, et n’ayant pas recours à la publicité, dans lesquels seuls des membres majeurs inscrits peuvent se procurer du cannabis. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, l’aspect de socialisation est une dimension importante des clubs en termes de santé publique. En effet, ils permettent de réduire la stigmatisation associée à l’usage de cannabis et augmentent les interactions et la participation dans les rapports sociaux, ce qui constitue également un important déterminant de la santé15. Il y a donc un enjeu à ce que ces lieux puissent offrir un espace de consommation sociale suffisamment convivial pour qu’il soit fréquenté par les membres. Les clubs devraient également avoir la possibilité d’organiser des événements culturels à destination des membres ou non. Afin d’obtenir une autorisation d’ouverture, ces lieux devraient faire l’objet d’une visite d’inspection.

Prévention et réduction des risques

Toute personne qui s’affilie à un club doit notamment déclarer être consommatrice et être consciente des risques liés à la consommation de cannabis, connaître la loi en la matière et avoir pris connaissance du règlement d’ordre intérieur du club.

Les employés des clubs qui assurent les permanences et qui sont en contact avec le public devraient régulièrement suivre des formations en prévention, en promotion de la santé et en réduction de risques liés à la consommation de cannabis, organisées par les acteurs du secteur spécialisé. Ils doivent être capables de vérifier une identité et de reconnaître les signes d’une consommation problématique. Ils devraient également connaître la loi et les sanctions en cas de violation. Les clubs constituent, en effet, des espaces privilégiés pour la diffusion d’informations en matière de promotion de la santé et de réduction des risques, notamment en ce qui concerne les modes de consommation alternatifs à la combustion.

Les employées des clubs devraient également être capables de mettre en lien avec les services adéquats les membres qui en exprimeraient le souhait. Les clubs pourraient ainsi établir des partenariats avec différents acteurs du secteur social-santé, afin que les membres qui en ressentent le besoin puissent facilement entrer en lien avec les services existants. Les clubs, s’inscrivant dans la première ligne, peuvent porter une action vers un public marginalisé avec lequel les services n’entrent pas toujours facilement en contact.

Aspects économiques

La mise en place d’alternatives à la prohibition du cannabis occasionne inévitablement un impact sur les finances publiques, plus ou moins conséquent selon l’option de régulation choisie et ses modalités précises. Des économies peuvent être réalisées via une réduction de la répression des comportements actuellement prohibés, et des recettes générées via un régime de taxation ainsi que via la création d’emploi en lien avec un éventuel marché réglementé. Des prévisions économiques ont été réalisées en France (voir Kopp, Ben Lakhdar & Perez, 2014 ; Geoffard, Beuve & Fize, 2019) et en Belgique (voir Raone, Hanard & Proesmans, 2019), et nous renvoyons le lecteur intéressé vers ces documents pour plus de détails, car nous n’exposerons ici que les éléments principaux, à titre indicatif.

Les économies sur le plan répressif et sécuritaire

La majeure partie des dépenses publiques relatives aux drogues illicites sont liées à la répression et à la sécurité (Lievens et al, 2016 ; Vander Laenen et al., 2011), essentiellement mises en œuvre par les forces de l’ordre et l’appareil judiciaire. La grande majorité des infractions constatées sur le territoire belge en matière de drogues impliquent du cannabis. En Belgique, en 2018, près de 32.000 faits de détention de cannabis ont été constatés par la police, et un peu plus de 1.000 plantations de cannabis ont été démantelées (voir Stévenot & Hogge, 2020). L’appareil répressif a aussi sanctionné en 2018 quelques 4.600 faits de deal et 1.300 faits de trafic de cannabis (généralement des faits d’importation). La répression de cette criminalité a un coût direct important pour la société en raison de l’activité policière (enquêtes, interventions, arrestations, démantèlements, etc.) et de la justice (cours, tribunaux, incarcérations) y afférant. En outre, cette répression monopolise une partie des effectifs des forces de police, engorge le fonctionnement de la justice et participe à la surpopulation carcérale.

En cas de décriminalisation de la détention de cannabis, des économies considérables pourraient être réalisées puisqu’une grande partie des infractions liées aux drogues illégales portent sur des faits de détention de cannabis. Des économies supplémentaires seraient également possibles en cas de mise en place d’un marché réglementé, car la production et la distribution sortiraient en grande partie de la clandestinité. Selon Raone, Hanard & Proesmans (2019), en Belgique, les dépenses publiques annuelles en matière de répression du cannabis relatives aux frais de police et de justice16 s’échelonneraient entre 76 millions et 228 millions d’euros17. Selon ces auteurs, une grande partie de ces dépenses pourrait donc être économisée en cas de mise en place d’une alternative à la prohibition: – 37,5% en cas de décriminalisation, – 68,3% en cas de légalisation et vente via un monopole public, et environ -50% en cas de légalisation et vente via un marché concurrentiel.

Les recettes liées à la taxation

En cas de mise en place d’un marché réglementé, la vente de cannabis permettrait de générer des recettes publiques via la taxation (accises et TVA). Selon les estimations de Raone, Hanard & Proesmans (2019), qui se basent sur les prévalences de consommation estimées en Belgique via l’enquête de santé par interview 2013, les recettes fiscales liées à la vente de cannabis aux personnes majeures devraient avoisiner les 40 millions d’euros. Cette estimation pourrait être revue à la hausse dans la mesure où la consommation de cannabis est en hausse par rapport à 201318. Une partie de ces recettes devrait idéalement être réinvestie dans des programmes de prévention des assuétudes et de réduction des risques, de manière à limiter le développement d’usages problématiques. Les barèmes de taxation ne doivent pas être excessifs et doivent pouvoir être adaptés progressivement afin que les produits vendus légalement puissent rester concurrentiels par rapport à l’offre du marché noir, sans pour autant inciter à une augmentation de la consommation19.

Les recettes liées à la création d’emplois

En cas de mise en place d’un marché réglementé, les recettes publiques devraient aussi être valorisées par l’impôt des sociétés et l’impôt des personnes physiques, en raison de la création d’emplois liés à cette nouvelle filière (qui comprend la culture, la transformation, la distribution et la vente de formes de cannabis directement consommables). Il n’existe pas à l’heure actuelle d’estimation du nombre d’emplois que pourrait générer un tel marché à l’échelle de la Belgique. En France, le nombre d’emplois a été estimé à minimum 27.500 et maximum 57.000, sur base d’une production annuelle théorique de 500 tonnes20. Les auteurs se sont basés sur les chiffres relatifs à la création d’emploi que ce marché a généré au Colorado et en Californie. Sur base de ces chiffres, il apparaît que le marché du cannabis créerait entre 55 et 114 emplois par tonne de cannabis produite et vendue (en présupposant donc que la production ait lieu en Belgique). En Belgique, sur base des données de l’enquête HIS 2018, on peut estimer que le nombre total d’usagers de cannabis s’élève à 1.653.817. Ce nombre est très probablement sous-estimé, d’une part parce que l’usage peut survenir avant l’âge de 15 ans et se prolonger au-delà de l’âge de 64 ans (l’enquête HIS porte sur la population belge âgée de 15 à 64 ans), et d’autre part parce que l’enquête HIS sous-estime l’usage de drogues de par sa méthodologie (voir Stévenot & Hogge, 2020). Si on reprend les quantités consommées utilisées par Geoffard et ses collaborateurs dans leurs estimations, et si on exclut les expérimentateurs et anciennes consommatrices, on peut estimer à 54 tonnes la quantité de cannabis consommée annuellement en Belgique. Le nombre d’emplois créés par cette filière, pour autant que ces quantités soient produites sur le territoire belge, pourrait donc être compris entre 2.970 et 6.156. Cette estimation est bien évidemment théorique et présuppose d’une part que l’approvisionnement lié au marché noir soit nul et d’autre part que les prévalences de consommation ne soient pas impactées par la mise en place du marché réglementé.

Tableau 9 : Estimations du nombre d’usagers et des quantités de cannabis consommées sur base annuelle

Types d’usagers

HIS 201821

%

Nombre d’usagers à l’échelle de la population belge de 15 à 64 ans au 1er janvier 2018

Consommation (gramme/an)

Consommation totale (tonnes/an)

Expérimentateurs ou anciens consommateurs22

15,59

1.140.841

/

/

Usagers occasionnels23

2,71

198.312

5

0,99

Usagers réguliers24

3,0

219.533

73

16,03

Usagers quotidiens25

1,3

95.131

393

37,39

Total

22,6

1.653.817

/

54,4


1 Decorte et al. (2017)

2 Auriol et Geoffard (2019)

3 Ibidem.

4 SAMHSA (1971-2014)

5 Voir par exemple, le document du gouvernement néerlandais : Office of Medicinal Cannabis (2002).

6 Belspo (2019)

7 Critchlow et al. (2019)

8 Vasiljevic et al. (2018)

9 Radio Frequency Identification

10 Directive commune de la Ministre de la Justice et du Collège des procureurs généraux relative à la constatation, l’enregistrement et la poursuite des infractions en matière de détention de cannabis. Cette directive a été abrogée et remplacée par la circulaire des procureurs généraux de 2015 révisée en 2018.

11 Decorte et al. (2017)

12 European Coalition for Just and Effective Drug Policies, voir www.encod.org

13 Code de conduite pour un Cannabis Social Club Européen, https://cannabis-social-clubs.eu/fr/code-de-conduite-pour-un-cannabis-social-club-europeen

14 10 travailleurs ETP en moyenne sur l’année, 700.000 euros hors TVA de chiffre d’affaire annuel, et 350.000 euros de total du bilan.

15 Lucas (2012)

16 Hors dépenses relatives aux accidents de la route ou aux problèmes relevant de la sécurité routière.

17 L’étude SOCOST, sur laquelle se sont basés les auteurs, estimait les dépenses publiques totales en matière de drogues illégales pour l’année 2012 à environ 448 millions d’euros (Lievens et al., 2016). Sur base de ce chiffre, la part des dépenses incombant spécifiquement au cannabis étant inconnue, Raone et ses collaborateurs ont réalisé plusieurs estimations en fixant cette part à 25%, 50% et 75% ; ils obtiennent ainsi des montants alloués spécifiquement au volet répressif du cannabis de respectivement 76, 152 et 228 millions d’euros (Roane et al., 2019).

18 Gisle & Drieskens (2019)

19 La fixation du prix doit être motivée dans un premier temps par une recherche d’assèchement du marché noir. Dans un second temps, les prix pourront être relevés afin de contenir les consommations.

20 Geoffard, Beuve & Fize (2019)

21 Prévalences de consommation en Belgique selon l’enquête HIS 2018 (Gisle & Drieskens, 2019).

22 Personnes n’en ayant pas consommé au cours des 12 derniers mois.

23 Personnes en ayant consommé au cours des 12 derniers mois, mais pas le dernier mois.

24 Personnes en ayant consommé au cours des 30 derniers jours, mais pas de manière quotidienne.

25 Personnes en ayant consommé au moins 20 jours au cours des 30 derniers jours.

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