Un nouvel arrêté royal, pour mieux stagner, voire reculer

Edito octobre 2017 | On peut d’abord s’étonner, encore une fois, du fait que la société civile n’aura pas eu voix au chapitre. Un nouvel Arrêté Royal a été publié au Moniteur Belge le 26 septembre dernier, sans consultation, sans information, et ce alors qu’il réglemente les « substances stupéfiantes et psychotropes ». N’aurait-il pas été opportun de consulter le secteur spécialisé et les opérateurs en prise directe avec les problématiques liées à l’usage de drogues ? C’est d’autant plus absurde que la Belgique vient d’avaliser le plan d’actions drogues européen qui souligne la nécessaire consultation de la société civile.

Tout au plus avions-nous donc appris que l’AR en question tente de répondre au défi des nouvelles substances psychoactives (NPS), ces produits chimiquement modifiés pour ne pas correspondre à la traditionnelle liste des produits interdits. Devant la déferlante de ces nouvelles substances psychoactives, apparaissant annuellement par dizaines depuis le début de la décennie, il s’agirait de travailler désormais par familles de produits. L’exécutif fédéral, dont la foi en l’interdit reste inébranlable, a pensé qu’il tenait là la solution à ce nouveau challenge ; les experts sont nettement plus réservés…

C’est le responsable belge du réseau Reitox lui-même qui, lors d’un événement consacré à la question, a publiquement reconnu que ces nouvelles dispositions n’auront que peu d’effets sur les consommations. Il soulignait par contre que cela pourrait faciliter le travail de la justice et des douanes à l’égard des trafiquants. Étonnant, quand on sait qu’une grande partie de ces NPS sont produites en Chine, et que le consommateur les achète par internet avant de les recevoir par la poste… La Belgique compte-t-elle envoyer des commissions rogatoires en Chine, afin de traîner des producteurs devant nos tribunaux ? Dompter le dark net où se vendent ces NPS, cette partie de l’internet caché, décentralisé, anonyme et intraçable ? Examiner en suffisance les colis postaux entrants au royaume, dont avant tout les colis discrets où sont dissimulés ces NPS  ? On a du mal à croire que le trafic des drogues en sera affaibli

Par ce nouvel arrêté royal, l’exécutif prouve sa volonté de croire encore en la guerre à la drogue et en la prohibition. Il clarifie et renforce le régime de l’interdit. L’Art. 6 § 1er rappelle que « Nul ne peut importer, exporter, transporter, fabriquer, produire, détenir, vendre ou offrir en vente, fournir, délivrer ou acquérir, à titre onéreux ou à titre gratuit, des produits, sans autorisation d’activités préalablement accordée par le Ministre ou par son délégué pour le lieu où se déroulent les activités. » Les produits sont référencés en annexes et concernent notamment le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et de nombreux autres. L’AR semble donc mettre fin à la tolérance quant à la possession d’au plus trois grammes de cannabis par un majeur, tolérance qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été codifiée que dans une circulaire n’ayant pas force de loi.

Le § 2 du même article 6 souligne que « la culture de plants de cannabis, de plants de coca et de plants de l’espèce Papaver somniferum L. est interdite et ne peut être autorisée. » La possession d’un plant de cannabis n’est donc plus tolérée, et les cannabis social clubs, qui se fondaient sur cette tolérance, seront définitivement annihilés… ou plus probablement clandestinisés.

Ce recul intervient alors que le bourgmestre de Mons, Elio Di Rupo, désire instituer une expérimentation scientifique de cannabis social club : il n’est pas dit que cette expérimentation ne puisse voir le jour puisqu’elle institue une exception à la loi. Il faut néanmoins craindre que le projet ne prenne maintenant du plomb dans l’aile…

Ce recul intervient aussi deux petites années après la visite d’une délégation suisse, à la Fedito Bxl et au cannabis social club anversois « Trekt Uw Plant ». Suite à cette visite et à d’autres rencontres internationales, quatre villes suisses s’apprêtent à expérimenter différentes formes de régulation du cannabis, et ce aux fins de mieux contrôler la production, la vente et la consommation de cannabis, dans le cadre d’objectifs de santé que de sécurité publiques.

Plus généralement, à l’heure où une douzaine d’Etats, dont celui du Canada, régulent le cannabis à des fins de meilleur contrôle, comment la Belgique ne peut-elle voir les effets pernicieux de la criminalisation ?

Il faut se rappeler que l’accord du gouvernement fédéral soulignait déjà que l’usage de drogues dans l’espace public ne pouvait être toléré. Nous avions l’espoir que cela ouvre du moins la voie aux cannabis social clubs, possiblement perçus comme des espaces privés. Il n’en est rien, et il est désolant de voir à quel point des partis sécuritaires se fourvoient dans une politique renforçant l’insécurité. Il est désolant de voir à quel point des partis attachés aux valeurs familiales et sociétales se fourvoient dans une politique favorisant l’exclusion sociale. Il est désolant de voir à quel point des partis attachés au développement économique se fourvoient dans une politique empêchant l’avènement d’un marché légal. Il est enfin affligeant de voir que la santé publique n’a que bien peu voix au chapitre.

Mais outrepassons ces doléances et posons-nous une autre question fondamentale : à défaut de développer une politique drogues cohérente et efficace, cet arrêté royal permet-il au moins de conserver l’acquis ? Notamment, consolider les traitements de substitution et le testing des drogues ?

Tout est question d’ « autorisations ». Le § 3 de ce fameux article 6 décrète que « le Ministre ou son délégué accorde l’autorisation (ndlr : de cultiver, de détenir, de fournir, etc) à une personne physique ou à une personne morale. Cette autorisation est personnelle et limitée à des fins scientifiques ou médicales. » Concrètement, la prescription de méthadone et de buprénorphine est-elle encore possible ? Oui, au sens de l’art 66 référant à l’AR du 22 janvier 1998 : le traitement de substitution est une activité autorisée, et le médecin peut toujours prescrire, le pharmacien délivrer, et le patient recevoir un traitement.

C’est moins clair concernant le testing, pour lequel un problème récurrent est la possession et le transport, en laboratoire en l’occurrence, de drogues. D’après l’art 8, « les dispositions des articles 6 et 7 ne s’appliquent pas au transport et à la détention de produits au nom, pour le compte et sous la responsabilité du titulaire d’une autorisation » : le réseau REITOX, dont la base de données est alimentée par ce testing, peut être ce titulaire d’une autorisation. Sauf que c’est « à l’exception des produits repris à l’Annexe IIA », dans lesquels on retrouve par exemple la MDMA, le produit le plus souvent testé. Le testing est-il donc mis danger, et ce malgré ses bienfaits de veille de santé publique ???

Il est difficile de mener une analyse approfondie d’un AR tel que celui du 26 septembre. Cet AR pourra être sujet à interprétations et applications diverses. Mais le ton général est, encore et toujours, à l’interdit et à la criminalisation. La Belgique a été une terre progressiste en termes d’avortement et d’euthanasie ? Peut-être, mais en ce qui concerne les drogues, on en est loin, et ce alors que ces trois débats de société se fondent sur les mêmes piliers : liberté de disposer de son corps, problématique de santé publique et impératif de rejeter la morale et l’idéologie.

La Belgique veut-elle encore vouloir croire que la criminalisation permettra de réduire les consommations et les trafics ? Cela fait près de 20 ans que le Portugal a tourné le dos à la criminalisation, avec des effets positifs unanimement et scientifiquement reconnus. Par contre, cela fait 100 ans que la Belgique s’essaye à la criminalisation. Cela fait 100 ans que la loi de 1921 a été écrite. Cela fait 100 ans que cette loi drogue constitue le socle de politiques répressives et exclusives, sans résultats sur les quantités trafiquées et consommées. Cette loi de 1921 est pourtant encore le socle fondateur de ce nouvel arrêté royal.

Il est temps pour vous, professionnels et citoyens, de vous joindre à un message alternatif. Rejetez cette criminalisation à outrance ; rendez-vous sur stop1921.be ; commandez du matériel ; diffusez-le autour de vous ; parlez-en autour de vous.

Il est temps de dire STOP à 1921.

Sébastien Alexandre,
Directeur,
FEDITO BXL

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